30/8/12 - 18 H 22 mis à jour le 30/8/12 - 18 H 24

 

Les hindouistes de France en quête de visibilité

À l’occasion de la 17e  fête de Ganesh, organisée dimanche 2 septembre à Paris par l’association tamoule Sri Manicka Vinayakar Alayam, les hindouistes de France cherchent à se faire mieux connaître.

La fête de Ganesh (ici en 2009). Organisée chaque année, la procession attire plus de 25 000 pers...

(ALEXANDRE CHAUSSET / WOSTOK PRESS)

La fête de Ganesh (ici en 2009). Organisée chaque année, la procession attire plus de 25 000 personnes.

Essentiellement pratiqué par des immigrés du Sud-Est asiatique, l’hindouisme attire de plus en plus de Français d’origine.

Entre la gare du Nord et la station La Chapelle à Paris, le quartier est surnommé « Little Jaffna », car la majorité de ses habitants sont des Tamouls ayant fui la guerre civile au Sri Lanka (1). C’est là que l’on trouve le premier lieu de culte hindou de France, le temple tamoul Sri Manicka Vinayakar Alayam. Fondé en 1985 rue Philippe-de-Girard, dans le 10e  arrondissement, ce temple est installé depuis 2010 rue Pajol (18e  arrondissement). 

 « À partir des années 1980, ces Tamouls sri-lankais ne pouvant plus se rendre en Grande-Bretagne du fait du durcissement des lois sur l’immigration, se sont installés en France » , explique Anthony Goreau-Ponceaud, géographe et maître de conférence à l’IUT de Périgueux, qui a consacré sa thèse à la diaspora tamoule. Arrivant par la gare du Nord, ces Tamouls sont restés là, reconstituant un « ethnoterritoire », dans lequel Anthony Goreau-Ponceaud a recensé plusieurs tamoulcholaï  (écoles de tamoul) et bharata natyam  (écoles de danse classique du sud de l’Inde), ainsi que 178 commerces ethniques.

 « Nous avons mis trois ans pour obtenir les autorisations de la mairie de Paris, mais seulement trois mois pour tout construire » , raconte fièrement Vaitililgam Sanderaskaram, Sri-Lankais arrivé en France en 1975 et fondateur-propriétaire-gérant du temple de la rue Pajol. Tout autour des 100 m2 ; en rez-de-chaussée, des autels en ciment aux couleurs vives, tels que l’on peut en voir en Inde du Sud, abritent des statues en granit noir ou en cuivre des trois figures majeures du panthéon tamoul : Shiva, sous forme de lingam (pierre dressée) ou avec le taureau Nandi, Ganesh à tête d’éléphant et Murugan, frère de Ganesh. Au centre, un kodemaram , colonne de bois sculpté et orné de cuivre, « transmet les prières aux divinités, telle une antenne » , selon Vaitililgam Sanderaskaram.

Corbeille d’offrande

Ce jour-là, la famille Nandakumaran a sollicité une puja  (cérémonie) dédiée à Ganesh, en vue d’« enlever les obstacles sur notre route, faciliter nos actions et développer nos entreprises » . À tour de rôle, les trois prêtres brahmanes, payés (au smic) par l’association Sri Manicka Vinayakar Alayam, psalmodient des mantras en sanscrit et enduisent deux statues de Ganesh successivement « d’huile, de farine de riz, de safran, d’herbes en poudre, de fruits, de miel, de lait, de yaourt, de canne à sucre et d’eau de rose » , tout en faisant brûler du bois sec et des pétales de roses avec du beurre liquide. 

De nombreux fidèles entrent et sortent. À l’entrée, Vaitililgam Sanderaskaram tient la caisse : à 8 € la corbeille d’offrande (une noix de coco, une banane, des bâtons d’encens et un morceau de camphre), celle-ci se remplit très vite. Sachant que, certains jours, près d’un millier d’hindous passent ici, l’affaire se révèle assez florissante. « Hindouisme et business ne sont pas contradictoires »,  confirme Anthony Goreau-Ponceaud.

170 000 hindous

En France, la plupart des 170 000 hindous appartiennent à la diaspora indienne, celle-ci étant constituée de trois groupes principaux : les Franco-Pondichériens (du fait de la présence française dans cette ville de 1671 à 1962) sont estimés à 70 000 ; les Tamouls d’Inde, originaires du Tamil Nadu, à 30 000 ; les Tamouls du Sri Lanka à 50 000. Il faut ajouter des dizaines de milliers d’Indo-Réunionnais et d’Indo-Mauriciens installés dans l’Hexagone depuis les années 1970 et des Népalais plus récemment arrivés. 

Sans parler de quelques milliers de Français d’origine qui pratiquent l’hindouisme par le biais du yoga, ou à la suite d’un voyage en Asie, ou encore d’une quête spirituelle qui les a menés vers cette tradition sans dogmes ni structures. « On prend ce qu’on veut, rien n’est imposé »,  s’enthousiasme un jeune cadre qui fréquente depuis peu le temple de la rue Pajol après avoir été bouddhiste durant quelque temps.

Le spectacle est haut en couleur

Selon Anthony Goreau-Ponceaud, sur les 14 temples hindous que l’on compte actuellement « 11 ont été bâtis par des Tamouls sri-lankais ».  Ceux-ci sont les plus présents dans les médias français, notamment à l’occasion de la fête de Ganesh. Organisée depuis 1996 chaque dernier dimanche d’août (ou premier de septembre) par l’association Sri Manicka Vinayakar Alayam, cette procession, au départ de la rue Pajol, attire plus de 25 000 personnes, hindous et badauds réunis. 

Tout au long du parcours, le spectacle est haut en couleur avec des joueurs de flûte et de tambour, des danseurs et danseuses portant des « cavadis » (arceaux ornés de plumes de paon) ou des pots d’encens, sans oublier des chars de Ganesh et de Murugan, couverts de régimes de bananes et de guirlandes de fleurs, et tirés par d’immenses cordes. Quant aux fidèles, ils cassent des centaines de noix de coco en les jetant violemment au sol : une manière de briser son ego et d’ouvrir son cœur à Ganesh.

 

(1) Ce conflit a duré officiellement de 1983 à 2009, mais il a débuté dès 1972 et n’est toujours pas complètement terminé. Il oppose la majorité cinghalaise bouddhiste (74 % de la population) à la minorité tamoule hindoue (18 %), dont l’organisation séparatiste (Libération Tigers of Tamil Eelam, LTTE) lutte pour un État indépendant dans le nord-est du Sri Lanka. Ce conflit a causé plus de 70 000 morts depuis 1972.

CLAIRE LESEGRETAIN